En faisant mon "travail" de recherche pour établir cette base de FAITS, je me suis penché sur nos échanges de mails (oui, j'accepte les contraintes des sauvegardes informatiques!).
En remontant au fil des années (depuis la naissance du courrier électronique), je suis arrivé en mars 2005, où j'ai eu la surprise de retrouver l'un des mails que tu avais pris l'habitude de m'envoyer lorsque tu étais en période de "grève de caresses". Il y rassemblait, en vrac, toutes les raisons de ton mal-être récurrent : le départ des filles, la pré-adolescence du fils, les finances trop justes... la malchance d'être née fille, celle d'être cadette, la sensation d'être lente et de ne jamais être à la bonne place... mon extrême patience avec les autres et mon manque d'attention à ton endroit (tu parlais déjà de connivence), mon travail en solitaire, dans une multitude de directions, trop rapide, trop présent, peu partageur de mes inquiétudes... tout ceci cristallisé autour de la plainte du jour :
JE TE faisais vivre dans une maison qui n'avait pas de papier peint!
C'est un discours que j'avais déjà entendu, plus ou moins identique, lors de notre première séparation en 1992.
C'est un discours que j'ai entendu une nouvelle fois, plus ou moins identique, en 2009 lorsque tu as décidé une nouvelle "grève".
Ma réponse avait alors été de te laisser SEULE, toute UNE journée (le 13/7/2009, je "fêtais" mes 50 ans) confrontée à TOUTES MES OBLIGATIONS QUOTIDIENNES (gestion des nombreux visiteurs, repas, prise en charge des activités touristique, organisation, ménages...). J'ai cru comprendre que cela avait été une des journées "compliquées" de ta vie.
C'est le même discours que tu m'as servi en 2012 lors de la fin définitive de nos relations conjugales,
puis quand tu as acté la séparation définitive en abandonnant en 2013 le domicile conjugal...
QUATRE ANS avant de m'assigner au tribunal pour divorce... toujours avec peu ou prou les mêmes griefs!
J'ai cherché ma réponse et je me rends compte que 14 ans après elle pourrait être d'actualité... C'est fou!
Je la remets dans le contexte et te la livre ci-dessous :
Nous avions démarré les premières locations en 2004.
Presque en même temps, et suite à mon licenciement de SOMETHY, j'avais créé, en 2003, deux structures associatives (où je travaillais seul) : AQUALOCUS, la plus importante, pour continuer le commercial médical et assurer notre quotidien et DOCLIC, une petite "danseuse" destinée à poursuivre ma vie de communicant auprès des nouveaux partenaires touristiques locaux. J'étais en plein lancement de ces deux structures que j’espérais capable de prendre la relève de SOMETHY (sur le plan financier), découvrant en parallèle le monde du tourisme dans lequel JE me lançais (tu étais me semble-t-il à la fin de ta formation de réflexologue et tu n'as jamais eu d'affinité avec les institutions, les réseaux de professionnels)... et pour faire bonne mesure, je déposais également les statuts de l'office de tourisme associatif qu'il fallait désormais faire vivre.
Je dormais peu (c'est devenu une habitude!) et étais à mille lieux du marouflage de papier peint... J'ai malgré tout pris la peine de te répondre.
13/03/2005
Pascale,Voilà quelques jours que je tourne et retourne, lis et relis ton courrier, un peu comme une poule découvrant un couteau.
J'hésite à répondre pour de multiples raisons :
- le papier si propice aux joutes stratégiques entre compétiteurs me semble bien éloigné de ce qui devrait être un espace de parole où un couple peut apprendre à se comprendre
- répondre sous entend une question et je n'en vois pas dans ton courrier (mais tu sais que ma vue baisse!)
- un mot peut être modulé par une tonalité, une couleur de voix, rattrapé par un tas d'adjectifs en fonction de son impact ou noyé dans un torrent d'adverbes s'il s'avère trop dur voire injustifié... l'écrire le rend libre d'être interprété à l'aune des sentiments, de l'état d'esprit du lecteur... modifiant ainsi la volonté de l'auteur.
- une parole fait référence à un instant, s'inscrit dans un contexte émotionnel et s'atténue, voire se "bonifie" dans le temps alors qu'un écrit fait abstraction du contexte et reste comme une balise immuable sur le chemin du lecteur. Quel que soit le contexte "les écrits restent" même s'ils ne veulent plus rien dire dès qu'ils sont écrits!
- écrire impose donc une longue maturation, une analyse fine de "l'état des lieux et des relations", une projection des potentielles réactions... et sincèrement je ne suis pas sûr qu'une froide énumération soit profitable à l'équilibre si fragile d'un couple...
Mais soit! Tu as sûrement raison de m'entraîner sur un terrain qui ne m'est pas familier... cependant tu ne m'en voudras pas mais comme tu n'as pas "chapitré" ta missive, je vais juste te dire comment je vois la situation :
- En préambule, ne crois pas que ma carapace soit aussi dure qu'il y paraît... et je pensais qu'avec le temps tu t'étais rendue compte que je ne suis pas un crabe mais un Bernard l'ermite, dos caparaçonné mais ventre mou. Je ne rentre dans cette coquille, si apparente à tes yeux, que lorsque j'y suis obligé par les évènements ou un environnement hostile... et je dois dire que de plus en plus souvent c'est dans ma coquille que je vais puiser l'énergie douce sans laquelle je ne peux exister... faute de la trouver à l'extérieur.
- Je suis comme tout le monde avec des défauts et des qualités et parfois je voudrais bien me débarrasser des habits que l'extérieur m'imposent. Pour te donner quelques exemples, tu fais grand cas des atouts qu'un garçon reçoit à la naissance (reconnaissance du mâle, symbole de force, de puissance, de grandeur) et à tes yeux source inépuisable de confiance en soi. Tu mets souvent en avant la chance de l'aîné d'une fratrie, à tes yeux, puits sans fond de reconnaissance des autres (parents, famille...).
Imagines-tu un seul instant du poids considérable dont on charge un enfant sous prétexte qu'il a reçu de la providence d'atouts aussi conséquents ? Peux-tu comprendre que personne ne te donne le choix de vivre ta vie comme tu l'entends, que tu n'as pas le droit de décevoir, qu'on t'impose une réussite que tu n'as pas choisie, que tu es obligé d'ouvrir toutes les portes qui se présentent, bonnes ou mauvaises, sans autres outils que tes propres expériences précédentes... en un mot qu'on attend de toi des prouesses quotidiennes alors qu'au fond de toi, tu aimerais peut-être te laisser porter par les évènements et choisir d'entrer dans les seuls endroits sûrs que d'autres ont repérés avant toi. Je crois que personne, homme ou femme, n'aime le combat, seul le hasard de la naissance fait de toi un gladiateur du quotidien.
Alors effectivement, tu prends sur toi, et tu te sens obligé de répondre aux attentes de tes parents, puis de ta fratrie, des professeurs, des amis puis bientôt de ta femme et de sa famille, de tes enfants, de tes patrons... bref de la société qui te blâmerait d'avoir gâché les magnifiques atouts dont la chance t'a doté.
Au fil des jours, tu prends de l'assurance (l'expérience), tu deviens plus dur (l'habitude de prendre des coups), tu doutes seul (personne ne t'offre d'alternative), tu décides seul (autant de prises de risques), tu imposes tes non-choix (en tentant de leur donner des justifications à tes proches)... et un jour on te fait remarquer que tu te débrouilles toujours seul et que tu n'as besoin de personne.... et bien non, je suis comme tout le monde et j'ai aussi besoin des autres... même si, je te l'accorde, je donne le sentiment de pouvoir m'en passer.
Pour moi, paradoxalement si solitaire, le groupe est capital ! Qu'il soit famille, couple, association, équipe... c'est par et pour le groupe que je vis. Et pour exister, un groupe, quel qu'il soit, doit rassembler des gens qui ont envie d'être ensemble, des intérêts communs, des projets réalisables, la volonté de se donner les moyens d'atteindre ces objectifs... et un peu de chance!. S'il manque un seul paramètre, le groupe ne peut durer.
Nous parlons souvent des difficultés rencontrées dans les groupes que JE côtoie et je pensais que le fait d'en parler nous permettrait tacitement d'établir un parallèle avec notre vie de famille.
Mais voyons si les paramètres sont réunis en ce qui ME concerne:
- L'envie d'être ensemble.
Elle est toujours présente et pour de nombreuses raisons. La première c'est parce que je t'aime (et ne me demande pas de l'expliquer car effectivement vu de l'extérieur c'est incompréhensible). Les secondes pourraient être en vrac la confiance qui s'est établie au quotidien, cette affinité qui fait que nous sommes capables (par moment !) de comprendre l'autre sans qu'il s'exprime, d'anticiper ses réactions, et paradoxalement, notre capacité à nous étonner mutuellement, malgré toutes ses années de vie commune. C'est le plaisir de voir évoluer nos enfants, l'envie commune de les épauler, à deux, le cas échéant, de leur conserver un repère qui leur permettra de peut-être plus facilement construire leur vie sur l'assurance que les années ne jouent pas contre le couple mais pour lui, la réconfortante sensation de correspondre à une famille comme il en existe peu.
C'est aussi, ne soyons pas dupe, le confort établi dans une relation construite à priori pour durer, la paresse d'avoir à conquérir un(e) autre partenaire, de bâtir une autre vie, la peur de lâcher la proie pour l'ombre, de se retrouver seul ou d'afficher aux yeux du monde que cette relation improbable pour laquelle nous nous sommes battus chacun à son échelle, était, comme c'était prévisible, vouée à l'échec. - Les intérêts communs.
Ils sont évidents à mes yeux. C'est ensemble que nous avons pris la décision de nous unir et de construire un avenir. C'est ensemble que nous avons pris des risques et supporté des années de vaches maigres. Et même si nous n'avons pas la sensation d'avoir réellement pris les décisions, chacun de son côté (pour l'exemple, rappelle-toi que je trouvais que le temps n'était pas propice à l'achat d'une maison quand tu l'as "décidé". De mon côté, je me souviens que tu ne comprenais pas pourquoi j'"imposais" un espace aussi grand), nous avons surmonté les divergences en acceptant de nous reposer l'un sur l'autre. Et jusqu'à présent, nous assumons ensemble les avantages et les inconvénients de nos décisions. Est-il temps de se rendre compte que nous nous sommes trompés? La peur de ne pas aboutir, nous fait peut-être oublier nos espoirs initiaux et c'est effectivement tentant de s'asseoir au milieu du gué ou de faire machine arrière. Mais je te remercie, encore aujourd'hui, d'avoir initier cette aventure, si difficile soit-elle. Et je suis certain que l'intérêt de la famille est préservé tant que nous nous battons ensemble. - Des projets réalisables et la volonté de se donner les moyens de les atteindre.
C'est un point important, et à mon avis un des responsables de nos actuelles colères mutuelles, sous tendues par l'insécurité de nos situations professionnelles.
Jusqu'à présent, et tant que nous avions encore une visibilité sur notre avenir, les rôles étaient classiquement définis dans mon petit esprit: j'étais le pourvoyeur et tu étais censée assurer la logistique, le ciment familial, l'épanouissement de tous. Tu vois que si l'on compare les tâches, les miennes sont relativement simples et contrairement à ce que tu penses de toi, ton rôle et tes missions font de toi l'élément clé de la famille. Mais l'herbe étant toujours plus verte dans le pré d'à côté, et la reconnaissance sociale passant exclusivement, à tes yeux, par une reconnaissance professionnelle, tu t'es souvent sentie insatisfaite par ce statut de "femme au foyer". Si je pouvais entendre tes souhaits d'émancipation par le "travail", j'ai effectivement toujours, sans m'opposer à tes aspirations légitimes, mis en balance l'équilibre précaire du foyer et peut-être me suis-je trompé. Tu as malgré tout eu la volonté de créer et, contrairement à ce que tu penses je ne t'ai jamais empêcher de t'exprimer. Projets de couture, de coiffure, de brocante, de massages, je pense honnêtement n'avoir ménagé ni les efforts, ni les coups de main destinés à te permettre d'exister socialement. Et pour être très clair, j'ai même étais particulièrement fier de voir que tu n'as compté que sur toi pour assumer ta formation de massage, preuve à mes yeux qu'il ne s'agissait pas d'une lubie mais d'une réelle volonté d'aboutir. Mais la confiance en soi et la chance ne sont pas innées, comme je te l'ai dis plus haut, c'est au quotidien qu'elle s'acquiert en acceptant de se battre et de se colleter au réel et je me demande parfois si tu ne me reproches pas cette difficulté... et pourtant, je t'assure que je n'y suis pour rien!De mon côté, tu me vois partir dans plusieurs directions qui sont autant de bouées que je jette à la mer dans l'espoir qu'une ou plusieurs d'entre-elles pourront nous aider à passer les 10 prochaines années. J'essaie parfois de t'expliquer le pourquoi de cette démarche et l'importance de ce que je considère comme des priorités mais je peux tout à fait comprendre que la vue d'ensemble est difficile à appréhender (j'ai aussi parfois un peu de mal à suivre mais tu sais que mes "sensations" se sont souvent révélées plus efficaces que de longues démonstrations). Alors je construis des projets, seul, en me battant contre l'extérieur et... sans toi... en te voyant de plus en plus déconnectée, de plus en plus méfiante, acerbe et cassante. Je ne suis pas rancunier (sans doute faute de mémoire) mais je ne suis pas masochiste alors je m'enferme à mon tour dans le silence.
Aujourd'hui tu me compares à un capitaine de navire prenant seul les décisions du cap et des moyens à mettre en œuvre mais je te rappelle que nous sommes dans le même navire et que si personne ne propose d'alternative, nous irons ensemble dans le mur. Je prends ce poste parce qu'il est libre et le laisse au premier qui nous apporte une vraie issue. Je n'ai pas entendu ta proposition de solution et il faut bien que l'un de nous assume les choix... que l'autre pourra toujours reprocher en cas d'avarie.
Alors effectivement, si tu te sens plus à l'aise dans le rôle de "second", il faut que tu acceptes de me laisser la barre pendant la tempête et que tu assumes des rôles essentiels permettant de tenir le bateau à flot. Et si nous savons faire la part des choses (ce qui concerne notre situation présente et ce qui concerne nos égos) nous devrions pouvoir passer le cap en maîtrisant nos peurs légitimes.Tu me reproches de ne pas tenir compte de tes attentes, de tes aspirations, d'être moins patient avec toi qu'avec n'importe qui... ce n'est pas juste et je suis sûr que tu le sais... si je passe du temps avec les gens de Viacamargue, c'est parce qu'ils vont assurer notre survie en alimentant les caisses de DOCLIC et nous aider à poursuivre le projet CAMARGUE-LOCATION (qui pourrait être ton projet si tu voulais en assumer les apprentissage nécessaires et tous les impératifs d'organisation, de réflexion, de gestion... et qui te permettrai même de mettre en valeur tes compétences de thérapeute ).
Si les rares clients d'AQUALOCUS passent en priorité, c'est parce que je pense qu'eux seuls vont pouvoir nous permettre de faire des "coups". Aujourd'hui nous devons prendre de l'ampleur, c'est le seul moyen de gagner l'argent visiblement si nécessaire à notre épanouissement, il faut nous entourer, embaucher des stagiaires, des salariés qui eux aussi vont nous demander du temps et de l'énergie... mais nous ne réussirons qu'à deux!Alors excuse-moi, mais effectivement la finalisation de notre intérieur n'est pas à mes yeux une priorité. Pour reprendre l'image du bateau c'est un peu comme si, en pleine tempête, le second se plaignait au capitaine du Titanic de ne pas avoir de tapisserie dans la salle à manger. Tu vois les projets sont peut-être réalisables... mais à deux... si nous arrivons à nous donner les moyens ! et lorsque la tempête sera passée je te promets que nous reparlerons de la tapisserie dans la salle à manger... et peut-être même des autres pièces de la maison. - ... la Chance.
Tu sais, depuis nos premières discussions d'étudiants ce que j'en pense. Elle n'existe pas mais n'est que le résultat de tout un tas de petites actions, de petites gentillesses, de services rendus, de sourires, d'attentions aux autres, de disponibilité offerte... Mais on a bien sûr le choix de croire qu'on est née avec la poisse, incomprise, de voir la méchanceté ou de jalouser les réussites des autres...
Entre la bouteille à moitié pleine et la bouteille à moitié vide, j'ai choisi mon camp et je t'assure qu'encore aujourd'hui, si l'on me permettait de choisir une autre vie, je n'échangerai pas la mienne... toi compris!